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Stratégies de l'industrie du Tabac

vis-à-vis des adolescents

Comment "elle" les piège?

De la théorie à la pratique!

M. MIRAY

 

Le premier point que nous devons connaître : la prévention du tabagisme chez les adolescents est un échec. Puisque l’on estime qu’actuellement 50 % des adolescents de 18 ans, garçon ou fille, fument.

Jamais nous n’avions eu de tels chiffres.

Rechercher de nouvelles actions de prévention pour réduire, inverser cette montée vertigineuse devient un impératif majeur de santé publique.

Convaincu que c’est en prenant le contre-pied de cette industrie, là où elle est particulièrement performante, que nous aurons les meilleurs résultats, nous devons d’abord et avant tout, nous imposer ce vieil adage militaire : « pour pouvoir, il faut savoir ! ». C’est-à-dire comprendre et maîtriser l’ensemble de la méthodologie employée par cette entreprise.

Mais attention, la route sera longue et difficile car les méthodes commerciales utilisées sont issues de techniques de manipulations mentales, extrêmement sophistiquées, parfaitement structurées, en perpétuelle évolution.

Méthodes qui non seulement piègent 50 % de nos enfants en profitant sournoisement des « petites défaillances psychologiques » lors du passage de l’adolescence ; mais piègent la plupart d’entre vous qui voulez faire de la prévention en rendant vos campagnes et vos discours inutiles et inefficaces, voire dans un certain nombre de cas dangereux ! Sans oublier les décideurs politiques, eux aussi magnifiquement manipulés.

Je vais vous présenter la synthèse que j’ai faite sur leurs techniques mises en œuvre, uniquement auprès de nos enfants, d’abord sur le plan théorique : les différents processus de décision du consommateur, puis sur le plan pratique : à propos de quelques actions quotidiennes.

Remarques préalables : pour faciliter la compréhension, je resterai schématique, en éliminant un ensemble de détails importants pour des spécialistes de la communication mais qui brouilleraient cette présentation qui se veut avant tout une information de base. Dans la deuxième partie, je ne présenterai pas un inventaire complet et précis des moyens mis en place par cette industrie mais une simple description de quelques faits qui me paraissent essentiels.

 

Les différents processus de décision du consommateur.

Nous sommes dans une société de consommation. Pour tous les secteurs économiques qui nous entourent, qu’ils soient de l’alimentation, des loisirs, de l’habillement, de la médecine, etc… Les responsables de ces secteurs vont, pour nous inciter à consommer leurs produits, nous envoyer une multitude de messages.

L’ensemble de ces messages, multiples et variés, se regroupent sous le terme : communication marketing. Son objectif n’est pas seulement de convaincre mais également de modifier le comportement du consommateur comme le confirme sa définition :

« la communication marketing consiste pour une organisation à transmettre des messages à ses publics en vue de modifier leurs comportements mentaux (motivations, connaissances, images, attitudes…) et par voie de conséquence, leurs comportements effectifs ». D. LINDON Le Marketing Nathan 1991.

Les différents messages de cette communication marketing vont provoquer chez les consommateurs des réactions ou étapes de natures différentes. Trois ont été identifiés :

-         étape cognitive : connaissance du produit ou d’une marque,

-         étape affective : préférence pour un produit ou une marque,

-         étape conative : intention d’achat ou de consommation.

En fonction de l’enchaînement de ces trois phases, plusieurs processus de décisions ont été identifiés.

Le premier processus de décision dit d’apprentissage, où l’on a l’enchaînement suivant :

COGNITIF         -->     AFFECTIF          -->    CONATIF

Connaissance                  Préférence            Consommation

C’est le type d’achat raisonné : la communication fournit des informations sur un produit, ce qui permet la formation de préférences ou d’arguments avant l’adoption d’un comportement d’achat ou de consommation.

Le modèle AIDA est souvent cité comme exemple de communication pour ce type de processus de décision dit d’apprentissage : « attirer l’Attention, susciter l’Intérêt, provoquer le Désir et l’Achat ».

Un deuxième type de processus dit d’implication minimale a été identifié. Il concerne l’achat ou la consommation de produits dits peu implicants, les ampoules électriques et les piles électriques en sont des exemples typiques. Dans ce type d’implication minimale, on a l’enchaînement suivant :

COGNITIF      ->     CONATIF      ->     AFFECTIF

Connaissance       Consommation           Préférence

 

La préférence pour un produit ne se formant qu’après l’utilisation du produit.

Concernant cette approche cognitive, on a longtemps cru qu’elle était un modèle standard qui expliquait tous les comportements de consommation.

Avec comme conséquence, pour lutter contre ce type de processus de décision : reprendre une démarche similaire c’est-à-dire cognitive. Jusqu’à une date récente, la majorité des actions institutionnelles ou individuelles développées dans la lutte contre le tabagisme des adolescents mais aussi pour sortir du tabagisme de nombreux fumeurs avec les résultats que l’on connaît !

A la suite des travaux de deux chercheurs américains : MARKUS et ZAJONC en 1982, cette conception cognitive a été remise en question dans certains actes de consommation. Ainsi est apparu un nouveau processus de décision.

Le troisième type de décision dit de dissonance où l’on a l’enchaînement suivant :

 

CONATIF             ->          AFFECTIF       ->      COGNITIF

Consommation                     Préférence                 Connaissance

 

Dans ce processus, la consommation précède la connaissance du produit.

Ces deux spécialistes ne se sont pas contenter de décrire cette nouvelle approche, ils élaborèrent une théorie explicative de ce processus de décision : la formation des préférences sur l’exposition, qui repose sur deux bases fondamentales : répétition à l’objet et répétition d’une norme sociale de référence selon le schéma suivant (SOURCE : le comportement du consommateur, Marc FILSER. DALLOZ).

Exposition à l’objet              Norme sociale de référence

         ¯                                                    ¯                

Répétition                    Comportement             Répétition

                                    (consommation)

                                            ¯

Préférences

                                           ¯

                                    Croyances

 

On voit tout de suite la différence fondamentale entre ces deux systèmes 1 et 2 :

 

1.                  COGNITIF       ->     AFFECTIF         ->      CONATIF

2.                  CONATIF        ->      AFFECTIF        ->       COGNITIF

 

Dans ce processus 1, on consomme un produit d’abord et avant tout pour ce qu’il apporte c’est-à-dire pour les bénéfices retirés des attributs du produit. Alors que dans le processus 2, le produit est consommé avant tout parce qu’il fait partie d’un attirail indispensable pour s’intégrer, s’identifier, s’assimiler.

Ce type de processus permet d’expliquer de nombreux comportements ou actes de consommation de nos adolescents : que ce soit la première cigarette, le port de certains vêtements, les concerts de musique de tout genre, les party-raves etc.…

Récemment, sur le plan national, nous avons vu un produit qui est passé du processus 1 au processus 2, c’est le téléphone portable ! Acheté il y a quelques années pour raison de commodité, il est devenu pour nos adolescents un instrument indispensable à leur quotidien !

La communication marketing, dans ce type de processus dit de dissonance, a un rôle totalement différent de celle observée dans le modèle AIDA. Elle doit d’abord et avant tout susciter la consommation puis sécuriser le plus longtemps possible le consommateur dans son choix, pour retarder la phase de connaissance du produit qui peut remettre en question ce choix.

Je l’ai appelé le modèle SS : S pour séduire, S pour sécuriser.

On voit dans quels pièges nos ados vont tomber avec le tabac : séduction pour les premières cigarettes, puis sécurisation prolongée, très prolongée, permettant l’installation des dépendances d’abord psychiques puis physiques avec les conséquences que l’on connaît !

Autre point important soulevé et étudié par ces deux auteurs : comment modifier ou changer les comportements acquis au travers d’un processus d’exposition ?

Ceux-ci ne pourront pas être influencés par des mécanismes cognitifs !

Ainsi, on comprend mieux l’inefficacité de l’immense majorité des campagnes anti-tabac faites jusqu’à présent ; les réactions d’opposition et de rejet systématique des fumeurs dès qu’on tente de leur parler du tabac ou de leur tabagisme car très souvent discours sous tendus d’arguments cognitifs.

Application quotidienne constatée de cette théorie de l’exposition.

Deux remarques préliminaires : d’une part, je vais présenter quelques faits constatés dans la vie quotidienne de nos adolescents !, d’autre part, pour rester compréhensif, je vais rester simple et schématique mais il faut savoir qu’ainsi, on s’éloigne de la réalité, une même action, comme par exemple le sponsoring, ayant plusieurs cibles et objectifs possibles.

Le premier temps de la séduction comporte trois phases :

La phase initiale du temps de séduction : c’est la répétition de l’exposition à l’objet : le pré-adolescent ne doit pas être indifférent au tabac. Rappelez-vous les propos d’Henry FORD avec ses nouvelles voitures construites en série : « dites du bien, dites du mal de mes voitures, peut importe, l’essentiel : parlez de mes voitures ! »

Les moyens : dès la première enfance, exposer le jeune aux fumeurs : milieu familial, milieu collectif, presse écrite, télévision, films. Question concernant la remarque d’Henry FORD : lorsque nous allons dans les écoles et collèges prêcher la sagesse vis-à-vis du tabac ne commettons-nous pas une erreur ?

La seconde phase du temps de séduction : motiver l’adolescent à devenir fumeur. Elle s’appuie sur les théories des motivations mises au point dans les années 50 par E. DICHTER.

Le plus important pour vendre un produit, c’est de trouver l’hameçon psychologique approprié. Pour le tabac, DICHTER a mis la main sur des valeurs toujours d’actualité : la maturité virile, la force, la vigueur, la liberté.

Les moyens utilisés : jadis la publicité directe, maintenant la publicité suggestive, par l’intermédiaire de la presse écrite et du cinéma surtout. En 1999, 98 % des films montraient du tabac ou de l’alcool : situation fortuite ou délibérée ?

La troisième phase du temps de séduction : il faut qu’il passage à l’acte : il doit fumer.

Elle s’appuie sur la deuxième base de la théorie : la répétition d’une norme sociale de référence par le biais du rôle du leader d’opinion : on imite ceux que l’on valorisent. En son temps, Catherine de MEDICIS fut un grand leader d’opinion.

Les moyens : le cinéma avec les acteurs stars mais aussi le chef de bande, le grand frère, le moniteur, les branchés d’où « les nuits bleues », etc…

Après ce temps de séduction et ces trois phases vient le temps de la sécurisation.

Le jeune fumeur doit être tranquillisé, rassuré et réconforté de son choix, car rien n’est plus dangereux qu’un nouveau dangereux qu’un nouveau consommateur déçu.

Les moyens directs : d’abord et avant tout le sponsoring, la Seita, en 1999, premier sponsor français ! Avec les courses de F1, les rallyes automobiles, les raids mais aussi les produits dérivés comme Mariboro classics. Actuellement, une nouvelle technique est en train de se développer  à une vitesse vertigineuse : le packaging. Dont un des rôles est de sécuriser.

Autre moyen : bloquer toute ébauche de rébellion chez les adolescents. Ceci permet de mieux comprendre la virulence avec laquelle l’ensemble des cigarettiers ont agi et réagi dans l’affaire de Quimper.

 

En conclusion

Nous devons impérativement améliorer nos connaissances sur l’ensemble des techniques utilisées par l’industrie du tabac, c’est à ce niveau que nous aurons le plus de chance d’être efficace, en prenant le contre-pied de leur méthodologie. Comme toute méthode, elle présente des failles et des lacunes que nous devons explorer, étudier puis exploiter.

CHRU de Nancy 1, Av. de Chevênes – F. 74000 ANNECY

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